« Le refus d’un choix » : une réponse à Adama Gaye

A propos de la contribution d’Adama Gaye « Le refus d’un choix », Pambazuka, 2012-03-16, Numéro 230

Chacun le sait, le choix le plus difficile n’est pas celui qui distingue le bon grain de l’ivraie, mais celui qui doit arbitrer, face a la réalité, entre deux mauvaises solutions.

La réalité pour l’électorat sénégalais, c’est l’état de l’offre politique sénégalaise : l’incapacité de l’opposition à mobiliser, les erreurs stratégiques comme le refus de participer aux dernières législatives y compris avec les soupçons – justifiés – de déloyauté du scrutin,  les guerres intestines qui ont vu par exemple Dieng se présenter contre Niasse plus que contre Wade, privilégiant le baroud d’honneur sur l’intérêt de son pays(1), la patrimonialisation de la vie politique et les petits arrangements pour faire vivre la clientèle, une campagne électorale indigente à l’image d’un programme de téléréalité bas de gamme (2), la stupéfiante posture d’Ibrahima Fall, qui, après avoir battu campagne, ne se présente pas pour voter au premier tour …

Qu’auraient du faire, dans ce contexte,  les citoyens sénégalais ? Rester chez eux, et, par conséquent, laisser Wade repartir pour un septennat ? Il y a dans votre posture à l’égard des citoyens sénégalais, M. Gaye,  une forme de dissonance cognitive, d’injonction paradoxale : « je vous aime, mais, quoi que vous fassiez, vous me décevrez ». Ayant très peu de goût pour les prophéties auto-réalisatrices, je respecte cependant votre position, mais je ne puis la comprendre.

Macky Sall n’est pas l’homme providentiel pour le Sénégal, c’est une chose entendue : il n’en n’existe aucun, ces temps-ci. Est-il l’un des coproducteurs du bilan et de certaines dérives (3) des années Wade ? Assurément. Est-il le seul à pouvoir battre Abdoulaye Wade ? Oui. L’équation est là, qu’on le veuille ou non. Reality check comme disent les anglo-saxons. Il faut en finir avec une vision surannée mais qui à la peau dure : la construction politique du Sénégal ne repose pas sur un homme et son régime, mais sur un processus, la démocratie.

Ce processus n’existe que par les contre-pouvoirs de la démocratie : les législatives prochaines en seront une étape décisive, permettant, je l’espère de voir surgir une opposition consistante, plus soucieuse de la représentation de son électorat, que d’aller se bousculer inutilement à Touba ou Tivaouane, dont on a pu mesurer il y a déjà douze ans la puissance des Ndigel : rien, face à la volonté citoyenne.

A nouveau, je respecte, en la déplorant, votre décision d’aller à la pêche au second tour. J’espère cependant que vous serez un citoyen actif, un journaliste pugnace autant que précis dans ses allégations, au moment où, dès le 26 mars,  il faudra se battre pour faire surgir les contre-pouvoirs, et, notamment, ouvrir le chapitre sénégalais des biens mal-acquis.

Open Data Sénégal, l’accès citoyen aux comptes publics, sera, je l’espère, une occasion de se retrouver.

Bien à vous,

Amadou Amath

Notes

(1)   Tanor Dieng, s’il est un homme républicain, et, malgré les stigmates de la vie politique, un homme d’Etat, n’a jamais conquis le cœur des sénégalais, comme son homologue socialiste, Laurent Fabius, en France. Cette situation, connue de tous les observateurs sérieux, et, objectivée par les sondages de l’avant scrutin,  aurait du conduire le Secrétaire général du Parti Socialiste à se ranger derrière Niasse, en préparant la relève et les législatives, pour l’un des partis essentiels de la vie politique sénégalaise. Il n’en fut malheureusement rien.

(2)   Jamais il ne fut question du Sénégal : je je, moi, je, moi, je …Ou furent discutées les questions des ressources halieutiques, de l’industrie, du tourisme, de la dangereuse situation sous-régionale etc. ? Sans dire les candidatures imbéciles, opportunément déclarées après le 23 juin 2011.

(3)   Abdoulaye Wade, ou la descente aux enfers du « Sénégal qui gagne » : http://tinyurl.com/7m6nwxg

 

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2 commentaires pour « Le refus d’un choix » : une réponse à Adama Gaye

  1. Adama GAYE dit :

    Cher Monsieur Amath,
    Je viens de lire avec intérêt votre réponse à mon article, et vous en remercie. La démocratie étant la liberté pour chacun et pour tous de choisir, le mien reste en l’état malgré l’euphorie de la victoire, entre peste et choléra mon refus de choisir demeure. Le peuple a fait son choix. En démocrate, je l’accepte. Mais garde mes réserves. Merci encore!
    Adama GAYE

  2. amadouamath dit :

    Merci pour votre commentaire Mr Gaye. La démocratie sénégalaise va avoir besoin de watchdogs pugnaces dès aujourd’hui: mon blog vous est donc ouvert, si vous le souhaitez.

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